Philippe Houzé
Photographe
Croyances d'un anti-septique
Toutes références gardées à ce magicien des mots qu'était Raymond Devos et à qui je l’avoue avoir copié ce titre, puissiez vous m’excuser pour ces quelques lignes sans humour, humour qui avec la dérision nous rapprochent bien plus souvent de la vérité que de certaines croyances.
Et Michel Audiard de dire : “j’aime bien les fêlés car ils laissent passer la lumière…”
Alors oui je suis croyant, en effet et pour le peu qu’il m’est donné de comprendre de ce qui est maintenant globalement admis par la communauté scientifique, je crois que les Dieux nous doivent beaucoup de leurs existences, et qu’il faudrait d’abord commencer par admettre ce qui est bel et bien prouvé sur l’origine de la vie telle que nous la connaissons et prendre le recul nécessaire pour la situer non seulement dans un processus constant d’évolution, mais également dans cet univers en expansion dans lequel elle s’est inscrite. Notre vie s’est donc développée dans un chaos universel, sur la terre, à partir de la matière que nous connaissons, parce que toutes les conditions étaient réunies pour son développement, elle est d’abord chimique, biologique et physique, nous sommes inscrits dans un schéma évolutif permanent avec tout ce qui en découle, dans ce schéma évolutif qu’est l’univers tout entier, fruit du hasard et de la nécessité comme nous l’a démontré le biologiste Jacques Monod. Notre vie est donc apparue sur terre non pas comme une création venue de Dieu ou d’ailleurs, mais bien comme une évolution née de et sur la terre, à partir de la matière, propre à elle-même, avec sa part de hasard, son patrimoine génétique inscrit dans l'ADN, depuis la naissance de la première bactérie à son évolution actuelle et future.
Chaque vie est un assemblage miraculeux et temporaire de particules élémentaires, une création nouvelle qui fonctionne dans une notion de temps qui nous est propre, avec ses outils, ses lois, ses règles incontournables qu’il nous est quelquefois difficile d’appréhender ou d’accepter, lois elles-mêmes dépendantes de la matière et de l’univers tout entier. L’évolution n’est pas un long fleuve tranquille, elle s’adapte constamment, avec ses réussites et ses échecs, se servant de son expérience et de son savoir mais toujours avec les règles et les lois de la physique ou de la biologie connues ou à découvrir, et nous ne sommes qu’une espèce en voie de disparition à l’échelle universelle.
Toutefois et même si les connaissances actuelles sur le fonctionnement et les capacités de notre cerveau sont de plus en plus connues grâce aux neurosciences, il n’en reste pas moins que ce formidable organe capable des recherches, des raisonnements les plus complexes n’est encore qu’un filtre, un décodeur ou un interprète de la réalité. Nous ne percevons aujourd'hui que ce que nos sens nous permettent de percevoir, la lumière avec la vue, le son avec l’ouïe etc, et qu’il pourrait peut-être exister autre chose dans une autre dimension connue à ce jour dont nous n’aurions pas encore développé la capacité à percevoir, nous ne sommes peut-être qu’au début de la perception de ce qui pourrait exister, de la vérité de ce qui existe, du mystère de cette vérité.
Il n’est donc certainement pas absurde d’admettre que la vie ne se soumette uniquement qu’aux seules lois biologiques, physiques ou physiologiques connues à ce jour, mais qu'il est possible d'envisager d’autres forces en présence, invisibles, totalement inaccessibles à notre intelligence rationnelle, hors de toute notion de temps, dans une dimension encore inconnue, que la vie ne se résume pas qu’à de la matière et qu’il pourrait également exister de l’immatériel et de l’irrationnel, voir même de la vie sans matière qui serait ce mystère de la vérité.
Si l’on en se réfère aux retours d’expériences des personnes qui ont vécu une situation de mort imminente et n’en déplaise à certains scientifiques, il est de plus en plus admis qu’il existe bien une conscience distincte que celle de notre corps, dans une autre dimension que celles connues à ce jour. Il n’est d’ailleurs pas non plus inutile de rappeler que la notion même de temps n’est pas universelle. Des scientifiques comme Lucile et Jean-Pierre Garnier Malet vont même jusqu’à démontrer que notre cerveau est capable de se dédoubler pour parcourir ce temps, ce qui expliquerait entre autre les phénomènes de prémonitions ou de prédictions comme celles d’Edgar Cayce au début du 20ème siècle. Le temps est donc une dimension qui nous est propre, propre à notre matière et qu’il faudrait pouvoir admettre de dépasser cette dimension pour avancer dans la découverte de ce mystère de la vérité.
C'est dans cet espace fertile d’incertitude et d’ignorance que l’homme devinant une autre dimension mais qui a besoin de matérialiser, de justifier voir même tout simplement de se créer une assurance vie pour l’au-delà, l’homme a donc éprouvé le besoin de créer des Dieux avec leurs religions induites, plus ou moins sages, plus ou moins proches de ce que pourrait être la vérité, avec leurs déviantes et les abus que l'on connaît. Bien sur il faut du mystique car il y a du mystère, bien sur il faut du spirituel car il y a de l’esprit mais si les religions ont le mérite de contribuer à l’épanouissement de chacun, au bon fonctionnement des sociétés, à leurs morales, à leurs conventions, à leurs éducations ou bien même à l’assouvissement du pouvoir de certains, chacun pouvant y trouver son compte, elles n’en demeurent pas moins bien trop matérielles pour approcher ce que pourrait être ce mystère de la vérité.
Alors en attendant que la science physique, voir métaphysique ne puisse un jour découvrir ce qui pourrait réellement exister, et à condition que nos besoins de surconsommation et de croissance à tout prix ne lui en laissent le temps, il nous faut vraiment commencer par admettre d’une part, que la vie terrestre n'est qu'une maladie mortelle qui plus est sexuellement transmissible, accepter que la mort n'existe pas en elle-même, qu’elle n’est qu’une conséquence d'un changement d’état de la matière, de cet assemblage miraculeux et temporaire de particules élémentaires, mais que d’autre part qu’il existe une autre forme de vie sans matière, que le spirituel pourrait exister dans une autre dimension comme celle de ces vibrations ondulatoires de plus en plus admises par la physique quantique ou la théorie des cordes et que ce qui est notre vérité n’est pas forcément la vérité au regard de ce qui pourrait exister, au mystère ce cette vérité.
Albert Einstein disait d’ailleurs de la matière “qu’elle n’est qu’un niveau de vibrations d’une énergie universelle, quand quelque chose vibre, les électrons de l'univers entier résonnent avec lui, tout est connecté, la plus grande tragédie de l'existence humaine est l'illusion de la séparation. Nous sommes des âmes habillées de vêtements biochimiques sacrés et nos corps sont les instruments par lesquels nos âmes jouent leur musique”.
C’est donc cette énergie que l’on peut appeler ce que l’on voudra, qui se transforme selon des niveaux de vibrations que l’on pourrait comparer à l’eau qui se transforme en glace ou en vapeur selon la température.
Et pour éviter tout malentendu, loin de moi l’idée de dévaloriser la vie, André Malraux disait “ la vie d’homme ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie d’homme “. Et même si elle n’a fondamentalement pas de sens en soi, elle est un privilège et qu’il nous est un devoir de lui en donner un, de la vivre pleinement ou du moins de la rendre plus supportable, avec autant que faire se peut de l’amour, du plaisir, des rêves, des envies, des espoirs et des désespoirs, des victoires, des échecs, de la poésie, de la passion mais aussi et surtout avec bonheur, le bonheur que l’on reconnaît au bruit qu’il fait en claquant la porte…
La vérité de l’art
Avant d'aborder cette notion de vérité qui est propre à chacun de nous comme le sont les notions de bien ou de mal, il est préférable de prendre un peu de recul et d'être le plus précis possible sur ce que l'on met derrière les mots. Si vous me demandez si je crois en Dieu, je commencerais par vous retourner la question afin de savoir ce que vous mettez précisément derrière ce mot, et il en va de même pour le mot "art ", souvent utilisé dans plusieurs acceptions.
Hormis toute la spéculation qui régit ce marché gigantesque et cette économie à part entière, il faudrait d'abord commencer par se demander ce qui fait que certaines créations peuvent accéder à ce titre, alors que d’autres non moins méritantes seraient à tout jamais oubliées!
Albert Einstein disait : ”le hasard, c'est le déguisement que prend Dieu pour voyager incognito», je voudrai ici que l'acception du mot "art" soit prise dans le même sens et non comme le témoignage de notre humanité, d’une période, d’une culture, d'une technique ou d’un savoir-faire. À une époque où ce mot se démocratise à beaucoup d'activités artistiques et artisanales, il serait peut-être bon de poser quelques repères sur la valeur d’une œuvre, qu’elle soit musicale, picturale ou autre, et d'identifier les différents niveaux de lecture qui permettent d’y accéder :
Au départ il y a bien évidemment le sujet, la représentation du sujet ou du message souhaité par l'artiste, même si ce sujet devient de plus en plus abstrait au fil du temps, il n'en demeure pas moins qu'il reste le point de départ, le support, le lien obligé avec notre matière, notre corps, notre cerveau, notre intelligence, notre sensibilité, nos sentiments, nos émotions ou nos croyances. Le sujet est souvent le témoin d’une époque, d’une culture, d’une situation géographique, d’une histoire avec tout ce que peut apporter l'artiste de son vécu, de son fort intérieur et aussi de ce qui est le plus profondément enfoui en lui, voir de son ADN, Bizet qui a écrit le plus espagnol des opéras n'avait jamais mis les pieds en Espagne !
Longtemps les religions, les croyances ou les pouvoirs en place ont servi les artistes pour les sujets, et ils étaient très dépendants de leurs mécènes. Hors l’évolution de l’art nous prouve que le sujet peut devenir abstraction et qu’il ne demeure au final que secondaire, l'évolution de la peinture moderne en étant d’ailleurs la démonstration. Bien que beaucoup essaieront toujours de trouver un sens ou une explication rationnelle, philosophique ou autre au sujet, au point même de devoir quelquefois trouver un mode d’emploi à la lecture d'une œuvre, pour au final en devenir une masturbation intellectuelle, voir une vaste escroquerie, je crois qu'il est vain de chercher dans le sujet l’essentiel ou la quintessence d’une œuvre. Ce n’est pas vraiment ce que l’on dit qui importe mais bien la façon dont on le dit qui révèle le véritable sens d'une expression ! Ensuite vient la création et la composition, bien sur il est nécessaire qu’il y ait de la création, la vie est elle-même sans cesse une création, une perpétuelle création, de déconstructions en reconstructions, à partir d’un chaos nécessaire due au déséquilibre aussi infime soit-il qui est l'essence même du mouvement, sans création il n’y aurait pas de vie et nous ne serions pas là. La nature elle-même est créative, pour exemple les cristaux de glace, qui doivent obligatoirement disposer de six branches et qu’il existe une multitude de formes de cristaux du plus simple au plus complexe, tous rivalisant les uns des autres d'originalité et de beauté, mais tous ayant obligatoirement les six branches pour former de la glace. Alors en cette époque d’évolution rapide où pleuvent tous les jours et dans tous les domaines de nouvelles créations ou inventions qui détruisent aussitôt les précédentes sans leur laisser le temps d'exister, il est difficile de prendre suffisamment de recul pour ne pas se laisser absorber par un éventuel effet de mode. Alors même si d’aucun diront que tout a déjà été fait en matière de création artistique le champ des possibles restant ouvert, la création est partout, dans nos rues, dans la pub, dans nos maisons, nos assiettes, partout où se posent nos yeux mais au risque de me répéter le fond est dans la forme, le contenu d’un message est bien moins dans le message lui-même que dans la manière dont il est traité. Quand vous regardez un film pour la deuxième ou troisième fois, vous ne le regardez pas pour l’histoire ou pour le sujet, même si l’intrigue est bien ficelée, mais bien pour y retrouver du plaisir dans la vérité du jeu des acteurs ou la beauté des images ! idem pour un chanteur, beaucoup de jeunes des années 60 qui adoraient les groupes anglo-saxons ne connaissaient pas forcément la traduction des paroles, ce qu’ils appréciaient surtout c’était la musique et tout ce qu’elle pouvait donner de vibrations ou d’émotion dans sa forme ! Dans un autre registre, le Pape Jean-Paul 2 a été tant aimé bien moins par le message de l’église qui reste immuable que par sa personnalité et sa façon d’être, et il est d’ailleurs intéressant à ce sujet de remarquer qu’il était dans sa jeunesse un homme de théâtre!
Et pour finir la vérité de l’art ; Jean Bazaine dans son livre “Exercice de la peinture” écrivait : ”Ce désert (la toile blanche), le premier pas, la première touche l’envahit tout entier, bord à bord: un espace se crée, le blanc devient lumière, la toile commence d'exister. Cette première semence vient de nous, elle est nous, ce sera sans doute notre seul acte entièrement libre. Un deuxième pas, une deuxième touche : un autre espace, une autre lumière apparaissent. Sans doute l’avions nous voulu, mais déjà la toile existait et, sans que nous en soyons avertis, elle commençait de nous mener. Et peu à peu, multipliant les gestes, les appels, revenant en arrière, tour à tour nous affirmant et nous niant, allant et venant dans ce désert de plus en plus peuplé, nous nous efforçons d’amener à la lumière ce grand corps incertain qui, à son tour, nous appelle à l’existence.”
L’œuvre devient la trace que nous laisse “Dieu de son voyage incognito”, à travers la main de son auteur, guidée par une force irrationnelle, c’est elle qui guide l’artiste, lui donnant une vie insoupçonnée au départ. C’est l’expression du mystère de la vérité, dans l’équilibre miraculeux des lignes, des formes, des couleurs, des blancs, des noirs, de la matière, des notes ou des silences qui prennent vie en résonance les uns aux autres, qui émettent des vibrations, vibrations autres que celles de notre matière et en échos à celles de l'univers.
Il n'y a pas d'explication rationnelle ou de raisonnement intelligible par notre conscience pour qu'une œuvre devienne vivante, elle s’impose et prend vie d'elle même, à l’insu de son créateur, elle n’a pas d’âge, elle est hors du temps, des modes et des courants et même de notre matière. Comme le disait Claude Viallat: ”Toute la peinture contemporaine est dans Lascaux, on a rien inventé, tout était là, depuis on a fait que parfaire des techniques”.
Une œuvre nous laisse donc un peu plus à deviner la lumière, elle nous permet de transcender, elle est un lien vers ce mystère de la vérité et nous autorise à un peu d’immortalité, peut-être...
La science nous rapproche de l'exactitude, l'art nous rapproche de la vérité.